"Et si on légalisait le cannabis?"
Stupéfiant !
Sans mauvais jeu de mots, c’est le premier
qualificatif qui m’est venu à l’esprit en lisant la une du dernier
numéro de Telquel (n° 233 semaine du 8 juillet au 14 juillet 2006) : « Et si on légalisait le cannabis ? »
En
réalité, le contenu de l’article ne part pas de l’hypothèse bien
virtuelle de légalisation du cannabis, mais bien d’un véritable
plaidoyer très affirmatif sur la nécessité inévitable de légalisation
de cette drogue.
L’article est co-écrit par le rédacteur en chef
de la publication Ahmed Réda Benchemsi ainsi que Bart Schut, un nom à
consonance très néerlandaise…no comment ! Cette proposition de
légalisation du cannabis avait déjà fait l’objet d’un édito du
rédac’chef dans un numéro de Telquel paru il y a un ou deux ans.
Maintenant, le plaidoyer est plus consistant et plus argumenté. En
outre « …Avant d'être adoptée par TelQuel, cette position sur la
légalisation du cannabis a été soumise au vote en conférence de
rédaction, vendredi 16 juin. Nous étions 8. Résultat : 5 pour, 1 contre
et 2 abstentions. ». Il y aurait également de fortes chances que ledit article ait été pondu sous l’emprise des stupéfiants (sigh).
-D’abord, un argument d’ordre religieux : «
On le dit haram, mais tout comme l'alcool, le cannabis n'est pas
explicitement interdit par l'islam. Il l'est de manière détournée - et
contournable, pour peu qu'on fasse l'effort d'Ijtihad nécessaire. »
Mais tous les musulmans savent pertinemment que toutes les substances
pouvant altérer la perception et conduire à un état d’ivresse analogue
à celui engendré par la consommation de boissons alcoolisées leurs sont
interdites. « Koullou mouskirin haram ».
-Ensuite, la
dépénalisation d’un point de vue juridique n’est pas aussi évidente.
Depuis 1963, date de promulgation du code pénal unifié, aucune
infraction sanctionnée par ledit code ou par un texte spécial n’a été
dépénalisée. C’est dire que le concept de dépénalisation est
profondément étranger au droit marocain : l’interdiction et la sanction
d’un comportement ou d’une abstention donnés s’inscrivent dans la
continuité et la constance. Et même si cette dépénalisation était
admise, ce projet devrait être soumis à un référendum populaire, ou
plus logiquement, au « berceau des lois et règlements » c’est-à-dire le
Parlement. Et le résultat serait prévisible : la quasi-unanimité des
formations politiques ayant des sièges au Parlement marocain font de
longs discours sur les méfaits des drogues, aussi bien douces que
dures, sur notre jeunesse. La dépénalisation du cannabis, d’un point de
vue strictement juridique, reste alors du domaine de l’utopie.
-D’un
autre côté, les deux rédacteurs de l’article font preuve d’une
consternante ignorance en matière juridique. En effet on ne
décriminalise pas les personnes, mais plutôt leurs comportements, et le
fait de s’abstenir de dénoncer la consommation de cannabis ou d’une
quelconque autre drogue, n’est pas constitutif d’un acte de complicité
telle que définie dans le code pénal.
-« Par ailleurs, la
légalisation aurait pour effet de diminuer le prix de la marchandise
(lire plus loin). Encore une raison, pour les fumeurs, de continuer à
faire ce qu'ils ont toujours fait, mais cette fois avec un (plus) grand
sourire… ». J’ajouterais même plus que les producteurs de cannabis
iraient jusqu’à créer des groupes de pression afin de stabiliser les
prix de leur « marchandise ». Mais quid des effets de cette
légalisation sur l’agriculture ? La culture du cannabis risque de
devenir prédominante et l’autosuffisance en matière alimentaire
pourrait en pâtir.
-« Les producteurs deviendraient honorables ». En somme, ils deviendraient des superstars. Un honneur douteux.
-« Une source majeure de corruption disparaîtrait ».
Là encore, cet argument ne tient pas la route du fait que la corruption
concerne également des produits qui sont dans le commerce (légal).
-« Les recettes fiscales exploseraient ».
D’accord, mais cela entraînerait-il un quelconque amélioration dans les
conditions de vie et dans le bien-être des consommateurs ou producteurs
de cannabis ?
-« Les touristes viendraient par millions ».
Des millions de zombies étrangers ? Sans façon, nous en avons déjà
assez chez nous. J’imagine les campagnes de pub touristiques avec des
joints figurant dans de grandes affiches dans les agences de voyage à
l’étranger… « Nous ne pouvons pas vous envoyer notre haschich, venez le
fumer ici ! ». Pathétique.
-« Le monde ne nous en voudrait pas (trop) ».
Il s’agit d’un argument optimiste, pour ne pas dire naïf. Le Maroc est
un pays pragmatique et il ne s’aventurerait pas s’attirer les foudres
de ses principaux partenaires économiques que sont l’Espagne et la
France. Sans parler des pays arabo-musulmans.
-Le débat sur le
caractère nuisible ou non de la consommation de cannabis témoigne d’un
parti pris flagrant : les deux rédacteurs de l’article vont jusqu’à
comparer l’accoutumance au cannabis et la dépendance au…Nescafé !! Et
bien que les effets néfastes de cette drogue comme les troubles
psychiatriques, les risques pulmonaires et les pertes de mémoires ou
d’attention à court terme n’ont jamais fait l’unanimité dans les
milieux scientifiques, ces derniers s’accordent en revanche à dire que
l’accoutumance au cannabis est aussi forte que l’accoutumance à la
cocaïne.
-L’alcool et le tabac sont nuisibles. Soit. Il y a déjà
assez d’hypocrisie à ce sujet au Maroc. N’en rajoutons pas avec le
cannabis
-« D'autres l'ont fait. Des exemples pour le Maroc ? ».
Tbarkellah 3la les exemples !!! La Bolivie est un pays fortement sous
développé, et la Hollande n’a pas procédé à la légalisation du cannabis
sans être préalablement dotée d’une économie forte.