Drôle d'article
J’appréciais beaucoup
les articles et chroniques de la journaliste Sanaa Elaji lorsqu’elle
travaillait à Assa7raa Lmaghribiya
, et je continue à apprécier son travail conjointement dans les deux revues La
Citadine et Nichane. D'ailleurs, le blog de Sanaa figure parmi la liste de mes blogs favoris.
Dans le numéro 91 de la revue Nichane, hebdomadaire de langue arabe (qui n’est que la version arabophone de la célèbre revue Telquel, et dans l’article intitulé « Comment les marocains rient de la religion, du sexe et de la politique », Sanaa Elaji nous propose comme à son accoutumée, et avec un professionnalisme certain, une intéressante étude sociologique sur l’évolution de la blague au Maroc, en mettant l’accent sur ce qu’elle appelle la « sainte trinité » qui régit ce domaine : le sexe, la religion et la politique.
Elle nous parle des
blagues régionales (sur les fassis, les marrakchis, les soussis, les berkanis
et autres), des blagues crées par l’imaginaire populaire en vue de commenter
les faits marquants qui les influencent et dont elles subissent l’influence
(Statistiques nationales, code de la famille, le tremblement de terre d’El
Hoceima, les inondations, les attentats du 146 mai, les élections…), les
blagues sur des personnalités politiques marquantes (Khatri El Jommani, Driss
Basri, Arsalan El Jadidi), des blagues sur le symbole de la Nation : Sa
Majesté Mohammed VI (et sur feu Hassan II, avant lui), ainsi que des blagues
sur des personnes tout à fait normales ou alors des islamistes barbus, et enfin
les blagues religieuses (Blagues sur Allah, le prophète Sidna Mohammed, les anges et Iblis (Satan))
Elle ne pouvait pas
manquer d’évoque l’humour télévisuel ou
ce qu’elle appelle : la plaisanterie présente/absente, en considérant que
la télévision marocaine ne fait pas rire ses concitoyens du fait que la « sainte
trinité » sus-citée n’y trouve pas sa place.
Mais un hic subsiste.
Malgré le professionnalisme et le sérieux de l’article précité, ces qualités
indéniables sont gravement compromises par les blagues provocantes,
stupides et inutiles d’un humour plus que
douteux qui y sont répertoriées, la plupart dans des encarts, bien
visibles : blague sur Abi Horayra (l’un des compagnons du Prophète) ainsi
que le Prophète Sidna Mohammed en personne, sur Dieu (Allah) et diverses
blagues sur des islamistes, une blague sur Driss Basri et feu Hassan II, et
deux sur Mohammed VI. Et en dehors de l’article incriminé, quelques pages plus
loin, l’on peut même voir une caricature (miniature délibérée ?) du plus
Haut symbole de la Nation représenté comme étant assis en face d’une télé et
pleine séance de zapping.
A la lecture de cet
article transformé (probablement par la rédaction de la publication) en recueil
plaisant, l’on finit par se demander sur la finalité de l’article en question.
S’agit-il d’un article dénonciateur, provocateur, d’une satyre, ou simplement
d’un travail journalistique qui rapporte objectivement des faits donnés ?
L’on pourrait également
se demander qui est le plus provocateur ? Celui qui énonce des
provocations ? Ou celui qui les rapporte ?
En effet, ce que la journaliste semble avoir négligé, c’est que certains écrits sont pénalement incriminés en eux-mêmes : la liberté d'expression est une liberté fondamentale, certes, mais il n'existe aucune liberté générale et absolue. C’est ainsi qu’on trouve dans la célèbre déclaration (française) des droits de l'homme et du citoyen (article 11) que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ». Or, et en l'espèce, la loi qui s'applique est le code de la Presse et de l'édition, notamment l'article 41 qui dispose :
« Est
punie d’un emprisonnement de 3 à 5 ans et d'une amende de 10.000 à 100.000
dirhams toute offense, par l'un des moyens prévus à l'article 38, envers Sa
Majesté le Roi , les princes et princesses Royaux.
La même peine est applicable lorsque la publication d’un journal ou écrit porte
atteinte à la religion islamique , au régime monarchique ou à l’intégrité
territoriale.
En cas de condamnation prononcée en application du présent article , la
suspension du journal ou de l’écrit pourra être prononcée par la même décision
de justice pour une durée qui n’excèdera pas trois mois.
Cette suspension sera sans effet sur les contrats de travail qui liaient
l’exploitant , lequel reste tenu de toutes les obligations contractuelles ou
légales en résultant.
Le tribunal peut prononcer , par la même décision de justice, l’interdiction du
journal ou écrit ».
En d’autres termes, on ne peut pas exercer la profession de journaliste – voire même d’humoriste - dans un pays dont la devise est « Dieu, La Patrie, Le Roi » sans respecter un tant soit peu cette dernière, et force est de constater que l’article en question a gravement ébranlé les première et troisième constituantes fondamentales de cette devise
Désolé Sanaa, ton article est sérieux et bien ficelé, mais tu as foncé tête baissée et Nichane vers l’imprudence, pour ne pas dire la témérité, car tes « blagues » sont profondément indéfendables.