"Marock" : Entre Ma-Roc et Ma-Rauque
Bien sûr, depuis des siècles d’évolution, les marocains ont développé une sorte d’intolérance à regarder en face leurs tares et travers. La majorité des marocains n’aiment pas voir leurs semblables (marocains précisons-le) prononcer des gros mots, se montrer dans des scènes de nus ou de baisers etc… aussi bien dans le petit que le grand écran.
Mais là n’est pas la question. Bien avant Marock, certains films marocains se sont avérés encore plus audacieux, notamment « Rhésus, le sang de l’autre » de Mohamed Lotfi (sorti en 1996), « Une minute de soleil en moins» (censuré parce que montrant des scènes érotiques et posant le problème de l’homosexualité). Personnellement, ce n’est pas non plus la relation juif/musulmane qui attire mon attention dans ce scénario. Ce n’est pas encore moins le film en lui même qui est criticable, mais plutôt la vision de la réalisatrice.
On garde surtout une impression de film inachevé, non abouti
et lacunaire…Un peu comme à l’examen, lorsque le syndrome de la page blanche
laisse la place au remplissage et au hors-sujet totalement futiles. Le malaise
après le film découle surtout des stéréotypes, préjugés, clichés et amalgames
culturel sur l’islam. Le défaut de cette démarche « maladroite » est
de parachuter des thèmes actuels, de parasiter ces thèmes qui ne sont déjà pas
assez clairs et qu’on prétend nous décrire et nous expliquer.
En effet, Marock est un pur produit de l’après-16 mai 2003, et c’est peut être pour cette raison que la réalisatrice a délibérément choisi de préciser le contexte du film à l’année 1997, justement pour que ce film ne risque pas d’être taxé de réactionnel. Marock sert surtout de support médiatique à l’idéologie « laïcisante » que la réalisatrice prône même en dehors du film en se déclarant favorable à la publication des célèbres caricatures danoises relatives au prophète de l’Islam Mohammed. Le film constitue pour elle une sorte de catharsis, un mégaphone pour faire entendre ses messages à savoir :
- Que le ramadan est devenu une sorte de formalité facultative et totalement superflue pour certains, qu’il constitue pour l’ « héroïne » un délai-boutoir au défi qu’elle s’est donnée : séduire Yuri, le juif marocain, avant la fin du ramadan ;
- Que faire la prière « fait chier », relève de la folie, qu’essayer de trouver un jean est plus important qu’un musulman concentré dans sa prière, et grosso modo qu’il n’est pas nécessaire de respecter un musulman pendant sa prière (grossièretés dites par « l’héroïne » à son frère concentré dans la prière);
- Que quiconque ose respecter les préceptes de l’Islam est systématiquement qualifié de bigot ;
- Que l’Islam est une sorte de « nounours » pour dormir tranquillement la nuit
- Que les « gens des écoles marocaines » détestent les enfants de la bourgeoisie (de quelle nationalité sont-ils alors ? Comme si la nationalité marocaine était un monopole des classes défavorisée et moyenne), ce qui est un peu vrai, avouons-le…mais que cette haine est malheureusement partagée ;
- Que les « barbus » et le matériel médical de la fac de médecine de Casablanca remontent tous deux à la préhistoire ;
- Qu’il faudrait prononcer « une phrase de merde en arabe» afin de pouvoir se marier avec une musulmane (mais de quelle musulmane parle-t-on ?).
Il en découle
que Marock apparaît inévitablement comme une sorte de coming-out de cette
jeunesse désaxée et paumée, qui rejette les préceptes religieux sous couvert de
modernité et d’ouverture d’esprit et ne s’en cachent pas. Une frange de la
société - ultra minoritaire certes - qui hurle haut et fort son existence à
travers cette œuvre cinématographique en faisant appel à tous les contrastes,
stéréotypes, clichés possibles et imaginables. Laila Marrakchi profite de ce
film pour décrire ses propres frustrations et désillusions d’après sa propre
expérience, sachant qu’il s’agit d’une marocaine (présumée musulmane) mariée à
un juif français, Alexandre Aja, le fils de Alexandre Arcady. Elle a
sûrement dû contrer des vents et marées avant de pouvoir se marier, et Marock
semble être un exutoire efficace afin d’exorciser ses vieux démons. C’est en
cela que Marock apparaît comme un récit autobiographique.
Par ailleurs,
on garde un goût amer en sortant du film, non pas parce que les scènes sont
atroces ou parce qu’elles nous touchent. Elles nous laissent plutôt froids. On
a presque envie de s’excuser de ne pas avoir versé une seule larme en assistant
à un dénouement peu convaincant. Les gros mots sont même presque banals,
puisque tout le monde sait que notre jeunesse aussi bien dorée que
« plombée » n’utilisent pas un vocabulaire très raffiné. En revanche,
on constate un français parlé de type « formule 1 » : les français
de souche eux-mêmes ne comprennent rien à certains passages du film pourtant
interprétés dans la langue de Molière parce que articulés avec une vitesse vertigineuse.
Bref ! Marock reste un film léger comme il en sort des dizaines chaque année, dont la publicité a paradoxalement été faite par ses détracteurs, ce qui le rend plus fascinant chez certains.
N.B. : A la remarque d’une ironie cinglante lancée
par Rita à son frère Mao concentré dans sa prière : « Eh Mao, tu
t’es trompé de direction : la Mecque c’est de l’autre côté. », j’ai
envie de répondre à la réalisatrice que
le ramadan, c’est de l’autre côté aussi. En effet, le Ramadan de l’année de
l’Hégire 1417 correspondant à l’année
1997 (contexte du film) a débuté le lundi 29 décembre 1997…On imagine alors mal
les protagonistes porter des vêtements aussi légers, aller à la plage et piquer
une tête dans la piscine à cette époque de l’année.